Le 15 juin 2021 a marqué une étape importante de notre projet « Sensibiliser le public à la collaboration interprofessionnelle lors de l’hospitalisation » qui a permis de construire des ponts entre la science et la société en créant des espaces de dialogue avec le public intéressé par le sujet. Dans cet article, nous revenons sur les réflexions issues de ces discussions et proposons des pistes d’action pour une prise en charge interprofessionnelle réalisée en collaboration avec le/la patient.e dans le milieu hospitalier et extrahospitalier.
Un des premiers éléments qui émerge lorsque la collaboration interprofessionnelle est évoquée avec le public est l’importance donnée à la communication entre les différentes actrices et acteurs du système de santé (équipes soignantes, patient.e.s, famille, etc.). L’échange d’informations entre différentes professions de la santé est valorisé par les personnes soignées qui perçoivent son importance pour une prise en charge coordonnée de leurs soins. Pourtant, il n’est pas toujours aisé de comprendre quand et comment les équipes communiquent ces informations, ni de trouver l’espace nécessaire pour y prendre part. D’autant plus de nos jours, où les services réunissent une variété de professions et où « tout va très vite » comme c’est le cas dans le milieu hospitalier.
Le sens commun suppose donc qu’une « bonne communication » garantit la transmission et la réception des informations nécessaires à une prise en charge coordonnée. Cependant, les expériences personnelles montrent que cette communication ne va pas de soi. Une raison est évoquée : les espaces (par ex. les colloques interprofessionnels) et les moyens (par ex. les transmissions orales ou écrites) qui permettent aux équipes soignantes de faire circuler les informations ne sont (de loin pas) tous formalisés, ni accessibles à toutes les professions et encore moins aux personnes à qui s’adressent les soins. A ceci s’ajoute une temporalité propre au fonctionnement hospitalier, avec un rythme de travail soutenu qui place parfois la communication au second plan.
Ce fonctionnement rend les pratiques collaboratives informelles nécessaires. Ces échanges informels se font au détour d’un couloir, entre deux prises en charge et ceci tout au long de la journée. Cependant, ces-derniers sont souvent invisibles aux yeux de l’institution et des personnes soignées. Ces échanges contribuent pourtant à l’organisation du service et améliorent les prises en charge en complétant les informations écrites qui sont disponibles dans les dossiers informatisés des patient.e.s et pallient aussi l’absence de certaines professions dans les colloques interprofessionnels. Ces « coulisses de la collaboration » sont d’ailleurs dévoilées sur le site web Dialogue & Santé ainsi que dans la vidéo qui ont été créés dans le cadre du projet de communication scientifique destiné au grand public pour augmenter la visibilité de ces pratiques collaboratives.
Un second aspect évoqué concerne la participation des patient.e.s dans les soins et plus spécifiquement leur place dans la collaboration interprofessionnelle. Une expérience d’hospitalisation est évoquée dans laquelle s’exprime une position « d’attente » : celle des visites médicales, des séances de thérapies ou des décisions de sortie, etc. Cette attente peut être frustrante et contraste d’ailleurs avec la perspective du patient-acteur qui prend part aux décisions liées à sa prise en charge. C’est d’ailleurs une posture « active » qui est véhiculée par les nouveaux paradigmes de santé mais qui peine encore à être concrètement « vécue » par les personnes soignées. L’héritage du paternalisme dans les soins ne semble pas encore si loin alors que d’autres pays, comme le Canada, ont (radicalement) transformé leurs pratiques soignantes.
D’autres enjeux se dessinent, notamment la spécificité de chaque personne soignée et ses droits en tant que patient.e à participer à ses soins en tenant compte de ses désirs, capacités et croyances. Cette vision est d’ailleurs soutenue par le modèle de soin centré sur les patient.e.s. Ainsi, la participation des personnes soignées dans les décisions de soins n’est pas incompatible avec le besoin d’être orienté ou guidé dans certains choix. Il s’agit donc de reconnaître l’importance du care dans la relation de soins. En effet, lorsqu’une personne reçoit des soins de santé, elle recherche une forme d’aide (par ex. pour faire face à sa maladie), ce qui peut la placer dans une position asymétrique par rapport aux professionnel.le.s qui prodiguent les soins. Pourtant, la collaboration interprofessionnelle tend vers une symétrie des relations (entre les professions et entre les équipe et les patient.e.s). Cette symétrie est d’ailleurs un fondement des équipes interprofessionnelles qui incluent le/la patient.e. Ces pratiques s’accompagnent d’un effet sécurisant pour les patient.e.s qui participent à l’élaboration d’une vision commune de leur prise en charge.
A partir des résultats scientifiques issus de l’analyse des colloques interprofessionnels, des pistes d’action émergent de la part du public. Premièrement : de favoriser les pratiques qui rendent le fonctionnement du colloque interprofessionnel visible et compréhensible aux patient.e.s. Faute de préparation, ils/elles sont souvent seul.e.s à ne pas connaître les procédures du colloque ce qui les place dans une position asymétrique face aux professionnel.le.s qui sont préparé.e.s et familier.ère.s à son déroulement. Concrètement, cela peut être réalisé durant le colloque en explicitant la structure de ce dernier (tours de parole, contenus, etc.). Une autre proposition est qu’avant le colloque, le « novice » (par ex. le/la patient.e) soit préparé à y participer. Une personne référente peut notamment encourager le/la patient.e à formuler les questions qu’il/elle désire aborder lors du colloque.
Finalement, la littérature confirme les avantages de la collaboration interprofessionnelle pour les professionnel.le.s, les institutions et les bénéfices pour les patient.e.s. Cependant, sa mise en œuvre se situe encore souvent au niveau de l’individu. Pourtant, il est avéré que la collaboration interprofessionnelle dépende de différents niveaux (politique, institutionnel, individuel). Des changements à des niveaux macros devraient avoir lieu notamment pour que la collaboration ne dépende plus du « bon vouloir » des professionnel.le.s et ne souffre plus du manque de temps pour la réaliser.
Pour conclure, nous relevons l’importance de la formation et notamment de l’éducation interprofessionnelle qui fait partie des formations initiales en santé (par ex. physiothérapie, sage-femme, soins infirmiers, technicien en radiologie médicale) et a des effets positifs sur les perceptions de la collaboration interprofessionnelle. Car dès leur première pratique (en stage ou une fois diplômé en emploi), les professionnel.le.s réalisent l’importance de cette collaboration dans l’exercice de leur profession. Le dialogue entrepris auprès du public démontre la plus-value d’une discussion plus large des questions de santé faisant ainsi le pont entre science et société, et entre formation et pratique professionnelle.
Nous vous remercions pour votre lecture.
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Liliane Staffoni et Félicia Bielser